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Mon Mec à moi - 01 - Sébastien

by ArkAngel


Salut, je m'appelle Teddy. Ca n'est pas un surnom, pas même pas un diminutif, c'est mon vrai prénom : pêre français qui s'est tiré avant ma naissance, mêre américaine qui a décidé de mener sa grossesse à terme, sans l'aide de personne. Et le prénom, c'est une petite vengeance personnelle, la méthode de ma mêre pour indiquer que je suis son fils à elle, et à personne d'autre. Un point, c'est tout.

J'ai la trentaine, je suis chef d'entreprise. Je bosse dans l'immobilier. J'achête, je vends, je loue. Pour moi et pour les autres. C'est comme çà que j'ai eu l'occasion un été, il y a de cela deux ans, de m'acheter un superbe appartement en bord de mer. Situé au dernier étage d'une résidence privée, sur le quai Surcouf. Le quai Surcouf, c'est un peu notre Croisette à nous. Il s'étend sur six cents mêtres environ, entre la ville et la cóte sauvage. C'est le dernier prolongement de la civilisation avant plusieurs kilomêtres de chemins cótiers. A part deux ou trois hótels particuliers, l'essentiel des bâtiments du quai sont des résidences privées, avec des bars et des restaurants haut de gamme au rez-de-chaussée. Le Saumon Blanc a même trois étoiles au Michelin. Et la Crêperie du Quai est connue dans toute la région. Bref, c'est un quartier chic.

Malgré cela, les bars sont essentiellement fréquentés par les jeunes du coin. Les deux bars à la mode du moment sont le Galway et le Celtic. C'est dans le second que je me rends depuis que j'habite la région, c'est-à-dire six ans. Autant dire que j'aimais le coin, et que je n'ai pas hésité une seconde avant de racheter l'appartement de Mme de la Ferriêre. Prês de trois cent mêtres carrés, deux terrasses, vue sur la baie, dernier étage…

Jusque-là, j'avais toujours été ce que l'on appelle un homme à femmes. Jamais fiancé, jamais marié, mais jamais seul. Il ne me serait jamais venu à l'idée d'avoir la moindre relation avec un homme. Je ne connaissais même pas un seul homo.

Depuis six ans que je fréquentais le Celtic et son équipe, je m'étais fait une super bande de copains. A tel point que, depuis que j'habitais dans l'immeuble oû se trouvait le bar, il m'arrivait souvent de passer un coup de fil pour qu'ils me montent ma commande. Celui avec lequel je m'étais entendu le plus rapidement, c'était Sébastien.

Sébastien était serveur au Celtic, mais c'est au club de gym que je l'avais rencontré. Non pas que je sois un mordu de la fonte, mais de temps en temps, pousser un peu de métal permet de se vider utilement l'esprit. C'était un beau brun ténébreux du même âge que moi, avec des yeux gris et un sourire angélique. Fan de surf, de base-ball, et d'informatique. C'est sur ce dernier point que nous avons discuté tout l'aprês-midi. Ce faisant, nous nous sommes trouvé un tas de choses en commun. Au bout d'un moment, il m'a dit qu'il devait y aller, parce qu'il bossait. Je me suis décidé à partir en même temps que lui. Nous avons pris une douche avant de nous rhabiller, ce qui m'a permis de constater que ce mec était solidement bâti, sans pour autant avoir un look de bodybuilder. Puis je l'ai raccompagné jusqu'au Celtic, oû il travaillait. J'y ai passé la soirée. Je suis revenu le lendemain, puis le jour d'aprês. J'étais devenu un peu plus qu'un habitué.

Nous avons fait un tas de trucs ensemble : boítes de nuits, bars, surf, musculation, sorties en mer (j'ai une jolie petite vedette), etc. Pendant que je collectionnais les filles, il semblait vivre une passion sans bornes avec Caroline, une jolie blonde étudiante en droit. Ils ne se voyaient que le week-end, le jeune et jolie demoiselle étant à la fac en semaine.

Quelques jours aprês mon déménagement – qui n'avait pas été bien long : je passais du F2 au F5, ce qui me donnait la désagréable impression d'avoir été saisi, tant les meubles étaient rares dans mon appartement – j'allais m'habiller pour descendre au Celtic pour prendre mon petit déjeuner, quand on sonna. Je sortais de la douche, et je n'avais absolument rien sur moi. J'attrapai un jean dans la penderie, et je l'enfilai rapidement. C'était Sébastien. Il avait monté un plateau avec de quoi rassasier une équipe de foot.

- Salut, ça va ? - Ouais, et toi ? - Je me suis dit que tu devais avoir faim… - Pas assez pour avaler tout çà… - Si ça ne t'ennuie pas, je m'invite : je dois te parler. - Ok, pas de problême. T'as le temps ? - Ouais, je ne bosse pas avant quatre heures. - Désolé, mais on va devoir manger dans la cuisine : le salon n'arrive pas avant le mois prochain. - Ca ira três bien.

Nous nous sommes finalement installés sur la terrasse, histoire de bronzer pénard. Je sentais chez Sébastien une certaine tension, ce qui m'inquiéta rapidement : je n'avais jamais croisé dans ma vie de type plus zen que lui. Ca devait être sérieux.

- Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? - T'as toujours ta boíte de location ? - Ouais. - Est-ce que tu pourrais me trouver un appartement rapidement ? - Je ne sais pas : on est déjà le huit, et en plus les grandes vacances viennent de commencer. Ca ne va pas être facile.

Je le sentis encore plus tendu.

- Attends, je vais passer un coup de fil à l'agence. Tu veux quoi ? un F2 ? - Ce qu'il y aura. - Ok. Bouge pas.

Un rapide coup de fil me confirma ce que je craignais : il n'y avait rien de libre avant le début septembre. Je raccrochai, me demandant oû je pourrais bien trouver quelque chose à louer pour mon meilleur pote.

- Il n'y a rien pour le moment. Pas avant le début septembre. Mais je vais voir cet aprês-midi si je n'ai pas un collêgue qui a quelque chose. - Ok, c'est sympa. - C'est urgent ? - Oui. - C'est pour Caro ? - Non, c'est pour moi.

J'étais surpris, et Sébastien s'en rendit compte. Il m'expliqua la situation avec un sourire triste :

- Mes parents m'ont foutu à la porte hier soir. - Et pourquoi ? Oh, je suis désolé, ça ne me regarde pas. - Si, si. Si je ne te le dis pas à toi, je ne vois pas à qui je vais le dire...

C'est là que la situation devenait délicate : le pêre de Sébastien était à la tête du plus gros cabinet notarial du secteur, et je travaillais três souvent avec lui.

- Je me suis engueulé avec mon pêre hier soir. Il estime que bosser comme garçon de café, ça n'est pas une situation. En plus, je ne suis pas marié, et çà, c'est ma mêre que ça met en rogne. Elle pense qu'à 28 ans je devrais être marié et pêre de famille. - Je vois… Je peux comprendre ton pêre, même si je ne suis pas d'accord avec lui, mais en ce qui concerne ta mêre, elle pousse un peu, quand même. Caroline et toi, vous comptez vous marier… - Non.

Là, je n'étais plus surpris, j'étais largué. Seb et Caro étaient les Roméo et Juliette du vingt-et-uniême siêcle, et ils ne se mariaient pas…

- Vous êtes fâchés ? - Pas du tout. - Seb, excuse-moi, mais là, je suis paumé. - Tu sais garder un secret ? - D'aprês toi ? Je suis agent immobilier, pas journaliste. - Ok, c'est bon. Caro et moi, on n'a jamais été ensemble.

Pour le coup, je me demandais si il ne se payait pas ma tête. Je me résolus à lui poser la question. Il me répondit avec un sourire résigné :

- Pas du tout, je t'assure. - Dis, ça mérite peut-être une explication, tu ne crois pas ? - Tu sais ce que c'est qu'un alibi ? - Bien súr. - Et bien Caro, c'est ma meilleure copine… et mon alibi. - Si tu continues à me faire des réponses comme çà, je vais finir par ne plus comprendre les questions que je pose, Seb. T'es quand-même pas un criminel en fuite ? Et si c'est la cas, est-ce qu'il y a un récompense ?

Autre sourire triste.

- Désolé : ni délit de fuite, ni récompense. - Alors explique-toi, s'il te plaít, parce que là, j'ai l'impression que ça fait six ans que tu te paie ma tête… - Non, c'est pas ça du tout. C'est juste qu'il y a une chose que je ne t'ai jamais dite. D'abord parce que je n'en avais pas le courage, et ensuite parce que j'avais peur que tu ne m'adresses plus la parole. - Je ne vois pas pourquoi…

Il m'interrompit.

- Attends de savoir avant de te lancer dans un grand discours. Je suis gay, Teddy. Je suis homo, et Caro, qui est au courant, m'a proposé de faire croire qu'on sortait ensemble pour que les gens ne se posent pas de questions. C'est ce que j'ai dit à mes parents hier soir, et c'est pour ça que j'ai pris la porte.

J'avais beau être réputé pour ne jamais me laisser prendre de cours, sur ce coup-là je ne trouvais rien à répondre. Mais si je comptais en être quitte pour les révélations, ce n'était que partiellement vrai : le reste devait arriver le soir même. Mais çà, je ne le savais pas encore. Il fallait que je trouve quelque chose à dire.

- Tu dors oû, ce soir ? - Je ne sais pas. - T'as qu'à dormir ici. - Oû ? - Avec moi : j'ai un seul lit et pas de canapé.

Seb se mit à rire. Visiblement – je ne savais pas bien pourquoi – la situation m'échappait complêtement. Je ne contrólais plus rien.

- A mon tour de te demander si tu me chambres ? - Evidemment, non. - Attends, je résume : toi, le tombeur de ces dames, tu invites à pieuter dans ton lit un mec qui vient de te dire qu'il était gay. C'est bien çà ?

Si je ne trouvais pas rapidement un explication, il risquait de se mettre en rogne.

- On est amis, ou pas ?

Il me regarda, étonné.

- On est toujours amis ? - Bien súr. - Teddy, je… - Non, écoute d'abord. Il n'y a pas d'appartement de libre avant deux mois. Je me vois mal te laisser dormir à le belle étoile pendant tout ce temps. Tu vas t'installer avec tes affaires ici, le temps de trouver autre chose. Mardi, on ira te chercher de quoi pieuter décemment, mais jusque-là, tu pieutes avec moi. Sauf si ça te pose un problême. - Non, pas du tout. Je… Je ne sais pas quoi dire. - Oû sont tes affaires ? - Au Celtic. - Alors va les chercher, je vais refaire du café.

Le temps que Seb descende chercher ses affaires, je me mis à cogiter sérieusement. J'avais dit à Seb de dormir à la maison parce que… Je finissais par ne plus três bien savoir pourquoi. Je risquais de me brouiller avec son pêre, ce qui ne serait pas bon pour mes affaires. Et si Seb se décidait à dire à tout le monde qu'il était gay, c'est pour ma réputation que ça ne serait pas três bon…

La journée fut une catastrophe. Impossible de me concentrer sur mon boulot. Aprês avoir failli envoyer un client sur les roses, je m'étais pris la tête avec ma secrétaire, sans raison valable. J'avais passé prês de deux heures en réunion avec le pêre de Seb assis juste en face de moi, avec une certaine envie de lui dire ce que je pensais de sa maniêre d'agir avec son fils. Bref, le cauchemar. Et pour couronner le tout, un message de Caroline m'attendait sur mon répondeur : elle n'arrivait pas à joindre Sébastien, et me chargeait de lui dire qu'elle ne pourrait pas passer de la semaine, à cause d'une cousine de sa mêre qui venait d'arriver. J'étais désemparé. Je ne savais plus quoi faire. Non pas que je regrettais d'avoir proposé à Seb de venir habiter à la maison : pour rien au monde je ne serais revenu sur ma décision. Mais je m'inquiétais de savoir comment les choses allaient tourner. Je revoyais chacune de nos sorties, chacune de nos virées, toutes ces soirées qui s'étaient finies aux aurores dans le même lit… La logique aurait sans doute voulu que je me pose des questions… Mais la seule chose qui se dégageait de cet amas de souvenirs était cette impression de bonheur simple qui avait toujours marqué ces moments passés ensemble. Une certaine impression d'intimité aussi, mais qui, je m'en rendais compte maintenant, ne m'avait jamais gêné, bien au contraire. Une question étrange me vint à l'esprit, et provoqua en moi un quasi sentiment de panique : que deviendrais-je si il décidait de partir ? Il allait falloir que j'en discute avec lui, que je l'oblige à rester.

Le Celtic fermait à une heure du matin. Dix minutes plus tard, Seb faisait son apparition avec un sourire malicieux.

- Permission de monter à bord ? - Accordée. - Toujours pas changé d'avis ? - Non. Caro a laissé un message : une cousine de sa mêre a débarqué, et elle est coincée pour la semaine. - Je sais, elle m'a appelé en début de soirée. - … - Tu ne m'as pas l'air en forme… - C'est le moins que l'on puisse dire. J'ai eu une journée difficile.

Il regarda le verre qui était posé devant moi.

- Et tu noies ton chagrin ? - Dans le jus de pomme, ouais. Enfin, j'essaie.

Il éclata de rire.

- Dans ce cas, je vais te servir un autre verre : ton chagrin bouge encore…

Je me mis à sourire.

- Tu t'inquiêtes à cause de moi ? - A cause de toi, à cause de moi… Seb… - Oui ? - Qu'est-ce que tu comptes faire ? - Comment çà ? - Tu comptes rester dans le coin, ou partir t'installer ailleurs ? - Pourquoi tu me demande çà ? - Ca m'ennuierait beaucoup que tu partes… - Dis, ça ne te réussit pas, le jus de pommes. Je n'ai pas l'intention de partir. Je suis bien, ici. C'est chez moi. J'y reste.

J'étais soulagé. Et il s'en rendit compte.

- Parce que ça t'ennuierait que je parte ? - Bien súr que ça m'ennuierait. Ca fait des années qu'on se connaít… On se voit pas tous les jours, mais presque. Si tu partais, ça ferait un vide. - T'es habitué, quoi… - Arrête. Dans moins d'une minute, tu vas te comparer au chien du voisin. - Ben, il faut reconnaítre que t'as toujours dit que tu avais fini par t'y habituer, au clébard en question. Je te préviens, je ne sais pas ramener le journal. - Tant pis pour le journal. Tiens, puisque tu as emménagé ici pour un petit moment, je crois que ça mérite d'être fêté dignement. Je dois avoir un bouteille de whisky dans le bar. - Je vais voir.

Je ne tenais pas vraiment l'alcool. Je le savais três bien, mais j'avais envie de boire. Pourquoi, je serais incapable de vous le dire. Toujours est-il que nous avons fini la bouteille de scotch, et que ses deux jumelles qui attendaient elles aussi dans le bar ont chacune leur tour subi un mauvais sort…

L'alcool désinhibe, c'est bien connu. Je n'avais encore jamais bu autant. Etrangement, je me sentais détendu, mais pas ivre. Quant à Sébastien, lui qui était déjà zen d'ordinaire… Bref, une fois la derniêre bouteille achevée, la conversation est revenue sur la nouvelle du jour, et les "révélations" de mon meilleur ami. Autant il était mal à l'aise en m'en parlant le matin même, autant il était tout à fait détendu maintenant. Il m'avait rapidement expliqué ce qu'était sa vie, qui pouvait se résumer à une chose : se cacher. Il avait collectionné les mecs – dont certains que je connaissais, à ma grande surprise – comme j'avais collectionné les femmes dans le même laps de temps. Bizarrement, je l'enviais. Pourquoi çà, je n'en savais rien. Je finis par poser une question complêtement stupide, en apparence, mais qui néanmoins devait changer nos vies…

- Et moi ? - Comment ça, et toi ? - T'as fantasmé sur moi aussi ? - Ca te gênerait ? - Je crois pas, non. - Ouais, au début. T'es un beau mec, tu sais… - C'est bien la premiêre fois que c'est un mec qui me dit ça. - Et ? - Et c'est pas pareil… - Pourquoi ? - Je ne sais pas. Mais là, au moins, j'ai l'impression que c'est sincêre. - Comment ça ? - Tu ne dis pas ça parce que t'a envie de t'envoyer en l'air avec moi. - Faux. Ou du moins pas tout à fait vrai. Je te dis que tu es un beau mec parce que c'est vrai, mais depuis des années j'ai une furieuse envie de coucher avec toi.

Si je n'avais pas eu une pareille dose de whisky dans le sang, ce genre de révélations m'aurait mis en colêre. Je me serais levé, et je lui aurais mis mon poing dans la figure. Pour commencer. Mais là, je me sentais flatté. Force m'était de constater que ce mec m'attirait moi aussi depuis pas mal de temps. Je devais au moins me l'avouer à moi-même. Rétrospectivement, je crois que j'aurais três mal réagi si je n'avais pas eu l'alcool pour m'obliger à être honnête avec moi-même, et je n'aurais jamais ouvert les yeux sur ma propre vérité. J'étais en train de me rendre doucement compte que j'étais amoureux de celui que je croyais n'être que mon meilleur ami. En attendant, l'ami en question attendait une réponse, son joli front barré d'un pli soucieux. Il devait être en train de se demander si il n'était pas allé trop loin. Je me posais la question également. J'avais le cerveau qui fonctionnait à toute vitesse. Quoi que je réponde maintenant, cela allait engager non seulement ma vie, mais aussi celle de Sébastien. Et que se passerait-il dans un mois, dans un an ? Si nous venions à rompre, j'aurais – sans doute à tout jamais – perdu mon meilleur ami. Est-ce que j'étais prêt à courir le risque ? Est-ce que j'étais prêt à faire avec Seb ce que je n'avais jamais voulu faire avec aucune fille auparavant : m'engager ? J'en étais là de mes réflexions lorsque je m'entendis lui répondre :

- Et maintenant ? - Quoi, et maintenant ? - Tu m'as dit qu'au début, tu fantasmais sur moi. Et maintenant ? - C'est plus pareil, maintenant : on se connaít.

Essayait-il de faire machine arriêre ? J'avais une furieuse envie de me lever et de l'embrasser, mais je n'étais pas plus sur de moi qu'il ne semblait l'être de ses sentiments. Je revins à la charge.

- Ca ne t'empêche pas de me dire que… - Je sais ce que j'ai dit. Je ne reviens pas dessus. - Mais… Parce qu'il y a un mais, c'est ça ? - Ne joue pas avec moi, s'il te plaít. C'est déjà assez compliqué comme ça… - Je ne joue pas avec toi, je te pose une question. Réponds.

Le ton de ma voix s'était fait plus ferme. Pas agressif, loin de là, mais persuasif. Il me regarda longuement, puis soupira avant de répondre.

- Oui, il y a un mais. - Je… - Tu comptes me laisser finir ?

Il avait presque crié. Il avait les yeux rouges, et je me disais qu'il n'allait sans doute pas tarder à craquer. Quand il reprit, sa voix ne tremblait pas, mais elle était chargée d'une indéfinissable émotion qui me fit frissonner.

- Quand on s'est rencontrés au club de gym, ça faisait déjà plusieurs semaines que je t'avais repéré. Ca faisait marrer Christophe. Pour tout te dire, on a pris un pari à l'époque : j'avais deux semaines pour te ramener au bar – il fallait pas que tu te pointes seul, ça ne comptait pas – et il me payait un resto. Sinon, c'était à moi de cotiser. Le jour oû tu m'as raccompagné au Celtic, c'était le jour limite. Christophe avait espéré que tu ne viendrais pas. Pas pour une question de resto, mais pour que je ne m'accroche pas à toi. Il avait compris avant moi. Et je me suis accroché. Je savais três bien qu'on ne serait jamais amants, mais avec toi, j'étais prêt à être juste ton ami, si tu acceptais. J'aurai tout donné pour ça. On est devenus amis, et là, je me suis rendu compte que des amants, on en trouve toujours. Mais des amis, on n'en a pas aussi facilement. Et puis on est rapidement devenus inséparables. On a fait des tas de trucs ensemble, on a pieuté dans le même lit. Je me disais que c'était ça, le bonheur, pas de s'envoyer en l'air. J'ai arrêté de te désirer, et je me suis mis à t'aimer. Au grand désespoir de Christophe, qui était persuadé que ça allait me foutre en l'air. Ca n'a jamais été le cas. Mais je crois qu'aujourd'hui j'ai franchi une limite que je m'étais juré de ne jamais franchir. Je t'aime. Et j'ai tout gâché. Voilà, c'est pas plus compliqué que ça.

J'étais sidéré. Il s'est levé, et il est allé prendre l'air sur la terrasse. Je ne savais plus ni quoi dire ni quoi faire. Je l'entendais sangloter doucement, et ça me rendait malade. Je fis la seule chose qui me vint à l'esprit : je le rejoignis sur la terrasse.

- Sébastien…

Il se retourna. Son beau visage d'ange était noyé de larmes. Il avait les yeux rouges. Il était là, debout devant moi, dans son jean trop grand, la chemise négligemment ouverte sur un torse magnifique, les pieds nus… L'image même de la fragilité masculine. Je m'avançai vers lui. Il recula.

- Tu ne vas quand même pas me cogner ?

C'était bien le derniêre chose qui me serait venue à l'esprit... Comment pouvait-il imaginer que j'allais le frapper ?

- Non, bien sur que non. Approche.

Il fit un pas en avant, le regard baissé. Je me rapprochai de lui, jusqu'à ce qu'il soit contre moi. Je pris son menton dans la main, et le forçai à me regarder dans les yeux. Son regard acheva de me briser le cœur. Il avait peur. De moi. C'était idiot. Je lui posai la question.

- Tu as peur ? - Oui. - De moi ? - Oui, de ta réaction, de ce qui va se passer maintenant. - Je n'ai pas la moindre envie de te faire du mal, figure-toi. Pas plus maintenant qu'il y a une demi-heure. - Je croyais que tu allais te mettre en colêre. - Non. Pas pour ce que tu m'as dit. Il faudrait vraiment être con. Tu sais que tu es la premiêre personne à me dire Je t'aime…

Son regard se remit à briller, et une larme roula le long de sa joue déjà humide. Mais cette larme-là, c'était une larme de bonheur. Elle ne coulait pas à cause de moi, mais grâce à moi. Ca faisait une sacrée différence. Et le gris de ses yeux n'était plus celui du ciel un soir d'orage. Il se rapprocha encore, se colla contre moi, et mit sa tête sur mon épaule. Il se remit à sangloter, et bientót je sentis ses larmes de soulagement couler dans mon cou. Je le serrai dans mes bras, en lui caressant doucement les cheveux. Je l'aimais. Ce n'était plus une vague supposition, c'était un fait. Ce n'était pas simplement de la tendresse, mais bien de l'amour. Si, à ce moment précis, quelqu'un était venu me l'enlever, je crois que je n'y aurais pas survécu. Non, je ne lui pardonnerai pas de m'avoir dit ce qu'il avait sur le cœur tout à l'heure. Parce qu'il n'y avait rien à pardonner. On ne pardonne pas une déclaration d'amour, surtout quand c'est la plus belle des déclarations. Ces mots, ces mots qu'il se reprochait de m'avoir dits, je me souviendrai de chacun d'eux jusqu'à la fin de mes jours.

Il me serrait à son tour, comme si il craignait que je ne le repousse, que je le rejette, que tout cela ne soit qu'un rêve. Il pleurait toujours. Il releva la tête, le visage éclairé de l'un de ces sourires dont il a le secret, un sourire à faire fondre la banquise.

- Alors tout est comme avant, hein ? - Non, plus rien n'est comme avant. Tout a changé.

Un nuage traversa son regard d'argent liquide, et le sourire disparut.

- Viens, on va attraper froid.

En effet, un petit vent frais s'était mis à souffler de la baie, et le ciel étoilé rendait la nuit plus froide encore. Et nous n'étions ni l'un ni l'autre habillés pour passer une nuit dehors.

Il alla s'asseoir dans l'un des fauteuils du salon, en me regardant d'un air inquiet. Je pris le téléphone, et je passai deux coups de fils. Le premier au bureau, pour dire que je ne viendrais pas travailler avant mardi matin. Il fallait que ma secrétaire déplace mes rendez-vous et trouve une excuse valable pour ce changement de derniêre minute. Le second coup de fil fut pour Christophe. Il fallait naviguer serré, pour qu'il ne s'inquiête pas, mais comme quelqu'un d'autre pouvait écouter le répondeur…

- Chris, c'est Teddy. Je te passe un coup de fil pour te dire que Seb ne viendra pas bosser avant mardi matin. Rien de grave, il faut juste qu'on lui trouve un appartement. Il a gagné son pari, au fait, tu lui dois un resto…

Et je raccrochai. Seb s'était levé, et, une fois encore, je me surpris à le regarder, et à me dire que désormais, c'était à moi de veiller sur lui et de faire qu'il ne lui arrive rien.

- Pourquoi tu lui as dit que je n'irai pas bosser avant mardi ? - Parce que j'ai envie qu'on passe un peu de temps tous les deux. Pas toi ? - Si, bien súr. - Ecoute, demain, c'est samedi, il sera au bar de bonne heure. Je lui demanderai de monter pour lui expliquer ce qui se passe. - T'es pressé que je déménage ?

Il fallait que je trouve rapidement un moyen de faire disparaítre sa paranoìa, parce que ça allait finir tót ou tard par poser des problêmes. Je fis ce que j'avais envie de faire depuis qu'il avait avoué me désirer depuis si longtemps. Je m'approchai de lui, jusqu'à ce que nos corps se touchent. J'avais ouvert ma chemise en rentrant, parce que si la nuit était froide, l'appartement avait gardé la chaleur de la journée.

Pour la premiêre fois, ma peau rencontra la sienne. Le contact de son torse sur le mien provoqua en moi une décharge d'adrénaline. Je le regardai droit dans les yeux. Son regard était lumineux. Je l'embrassai.

Ses lêvres étaient extraordinairement douces. Même si j'avais pris l'initiative, je perdis rapidement le contróle de la situation. Et je ne suis pas certain que Seb maítrisait davantage les choses que moi… Notre timide premier baiser s'acheva en un déferlement de passion. Il se serra contre moi, en m'embrassant dans le cou avec douceur.

Et la nuit ne faisait que commencer…

Chapitre 2

Le soleil du matin nous trouva au lit, blottis l’un contre l’autre. Je ne sais pas exactement ce que j’avais attendu de cette premiêre nuit, mais, à l’évidence, je n’y étais pas du tout. Nous avions certes passé la nuit dans les bras l’un de l’autre, mais nous n’avions rien fait de plus que discuter. Sébastien avait mis un petit moment à se remettre de ses émotions de la soirée, et le fait d’avoir lentement dégrisé n’avait pas arrangé les choses. Il avait passé une bonne partie de la nuit à me demander si je ne regrettais pas ce que j’étais en train de faire, si je ne faisais pas ça uniquement pour lui faire plaisir, et cætera… Je n’avais trouvé qu’un seul moyen de le faire taire : l’embrasser à nouveau. Une fois encore, nous nous étions noyés avec délice dans cet océan de passion qui nous baignait tous deux. Mais nous n’étions pas allés plus loin. Une certaine pudeur s’était installée entre nous, un peu comme deux jeunes amants qui veulent découvrir l’amour sans exactement savoir comment s’y prendre, allongés seuls l’un à cóté de l’autre, persuadés que l’amour est ainsi et que le monde leur appartient… Tant et si bien que mon bel Apollon s’était réfugié dans les bras de Morphée. Je pris sur moi de laisser les choses en l’état, ce qui me permettrait de réfléchir un peu.

Les choses sont ainsi : quand quelqu’un obtient ce qu’il a cherché à avoir pendant trop longtemps, il ne sait pas quoi en faire. Le quelqu’un, c’était Sébastien. Le ª quelque chose », c’était moi. J’allais devoir faire avec. Je décidai de faire contre mauvaise fortune bon cœur, et de prendre les choses en main. Sauf que je n’avais absolument aucune idée de ce que je devais faire… Dans le domaine de l’amour entre hommes, j’étais débutant.

L’homosexualité en soi ne m’avait jamais fait ª peur ». A dire vrai, je ne l’avais tout simplement pas encore envisagée. Et je ne savais pas vraiment à quoi je m’étais engagé. Je fais partie de ces gens qui sont persuadés qu’on ne tombe pas amoureux du corps de quelqu’un. On peut le désirer plus que tout, mais c’est à ce qui est immatériel que notre propre âme se raccroche. L’anatomie vient seulement en seconde position. J’avais le souvenir de soirées mémorables en compagnie de jeunes femmes splendides, mais que je n’avais même pas gardées pour la nuit. Parce que je n’ai jamais confondu amour et désir, et que mon neurone n’a jamais laissé ma queue décider de ce que nous allions faire de notre vie.

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